La Belgique trace sa voie dans le spatial

La Belgique, et plus particulièrement la Wallonie, se caractérise par un écosystème spatial dynamique, riche en expertises métiers et compétences pointues : ingénieurs, chercheurs et techniciens spécialisés participent au succès du secteur. 

Rencontre avec Jean-Pierre Chisogne, le nouveau Directeur Spatial du pôle Skywin.

Jean-Pierre Chisogne, Ingénieur civil en électromécanique avec une spécialisation aérospatiale, est le Directeur Spatial du pôle Skywin.
Photo ©️Arnaud Chisogne

La Wallonie joue un rôle significatif dans l’industrie spatiale mondiale : pouvez-vous nous en dire plus ? 

Le savoir-faire spatial wallon plonge ses racines dans l’histoire industrielle de la région. Les secteurs aéronautiques et spatiaux sont les descendants directs de la prestigieuse industrie métallurgique wallonne, qui a figuré tout au long du XXème siècle parmi les plus performantes au monde !

Aujourd’hui, la Wallonie joue un rôle majeur dans l’industrie spatiale mondiale : l’innovation et la coopération internationale participent au succès du secteur. 

Un vivier d’expertises technologiques et professionnelles 

Nous sommes très forts dans les activités liées aux lanceurs et, surtout, à l’observation de la terre tout au long de la chaîne de valeur : de la préparation des missions spatiales aux lancements, en passant par le pilotage des satellites depuis le sol, la gestion des équipements en orbite, jusqu’à la récupération et l’exploitation des données spatiales à des fins scientifiques ou commerciales – Jean-Pierre Chisogne, Directeur activité spatiale, Skywin.

Parmi les nombreux acteurs de renom, je pourrais citer :

  • Le Centre spatial de Liège (CSL), l’un des principaux centres d’essais au sol en Europe. Reconnu par l’ESA comme un centre d’excellence en optique, le CSL évalue les performances des charges utiles des satellites en les soumettant à un environnement spatial reconstitué. Le Centre est spécialisé dans la calibration d’instruments optiques, sous vide et dans des conditions de température extrêmes, de -269 à +120 degrés.
Préparation du test de calibration de l’instrument METIMAGE. ©️CEL
  • AMOS, reconnu pour ses solutions optiques, mécaniques et d’observation, qui intègrent des technologies de pointe développées à l’origine pour l’astronomie et désormais utilisées pour l’observation de la Terre.
  • Safran Aero Boosters pour ses vannes de régulation des fluides pour moteurs et étages de lanceurs spatiaux. 
Image ©️Safran/Anthony Lemoine
  • SABCA qui conçoit, développe, teste, fabrique et répare des actionneurs et des systèmes d’actionnement hydrauliques, électrohydrauliques et électromécaniques pour toutes les applications aérospatiales. SABCA fournit aussi des éléments de structure de certains lanceurs. 
  • Thales Alenia Space, incontournable depuis plus de 60 ans dans de nombreux programmes spatiaux européens et internationaux grâce à son expertise en alimentation électrique pour satellites et lanceurs. Avec notamment l’électronique de pilotage de l’orientation des tuyères sur Ariane 6.
  • SPACEBEL, qui développe des logiciels embarqués pour les systèmes spatiaux (satellites et lanceurs), ainsi que des solutions avancées de gestion des données satellitaires pour les centres de contrôles et les applications géospatiales.
En matière de défense planétaire, SPACEBEL occupe un rôle majeur, notamment sur la mission HERA de l’Agence Spatiale Européenne.
Image ©️ SPACEBEL.
  • Lambda-X, spécialisée dans la conception de systèmes optiques de haute performance pour les applications spatiales.
Lambda-X Expérience en microgravité COLIS.
L’expérience vise à étudier l’origine, la formation et la dynamique des cristaux colloïdaux, des verres et des gels. Outre l’énorme intérêt industriel que suscitent les suspensions colloïdales sur de nombreux marchés, il existe aussi un intérêt scientifique fondamental puisque les diagrammes de phase des colloïdes imitent ceux de systèmes moléculaires plus complexes.
L’instrument COLIS a pour objectif l’étude de la formation de structure colloïdales en utilisant différentes techniques de diffusion de lumière. Image ©️ Lambda-X
  • EHP, experte en gestion thermique pour les satellites et les lanceurs
  • constellr, chef de file européen dans le domaine des services de données thermiques 

Débris spatiaux et bouclier thermique 

Nos centres de recherche jouent aussi un rôle de premier plan. Le centre Cenaero, spécialisé dans l’Aerospace et la Défense à travers des outils de simulation de pointe, collabore par exemple avec l’ESA, l’Institut von Karman et d’autres entités de recherche sur des aspects tels que la dégradation des matériaux lors de la réentrée atmosphérique (débris spatiaux et bouclier thermique) et l’optimisation topologique sous contraintes de composants critiques, comme illustré ci-dessous. 


Activités de simulation menées par le centre de recherche Cenaero en lien avec le domaine spatial.
Visuel ©️ Cenaero

Avec l‘émergence du New Space – illustré en Belgique par des acteurs tels qu’Aerospacelab – plusieurs leaders mondiaux d’équipements pour lanceurs, se sont spécialisés dans les technologies destinées aux lanceurs réutilisables.

Je me permets de ne pas mentionner ici tous les acteurs qui contribuent à la richesse et à la renommée du secteur spatial wallon sur la scène internationale… tant la liste serait longue (sourire).

Cybersécurité et Espace 

La Belgique, qui accueille à Redu le centre de sécurité opérationnel de l’ESA (ESEC) est, également l’un des plus grands contributeurs financiers de l’ESA. Ce statut confère à notre pays, malgré sa taille modeste, un rôle essentiel dans le financement des initiatives liées à la cybersécurité spatiale. Cette dernière intervient à toutes les étapes : la protection des satellites contre les menaces cyber, la sécurisation des données spatiales, la défense des infrastructures au sol, et bien plus encore. 

Quels sont les atouts des acteurs spatiaux belges et wallons ? 

Au-delà de l’expérience et de l’expertise développées au fil des années, la Belgique peut compter sur un capital humain d’exception. Nous disposons d’un réseau dense d’universités et de hautes écoles qui forment, chaque année, des ingénieurs, des scientifiques et des techniciens spécialisés aux métiers du spatial. Aux profils qualifiés s’ajoutent les infrastructures de production complexes mais aussi des infrastructures et moyens de tests pour satellites et équipements spatiaux. 

Allier expertise et écoute du client 

Le tissu industriel wallon – composé en grande partie de PME – se distingue par sa flexibilité, sa réactivité et sa capacité à s’adapter aux besoins spécifiques de chaque client. Ce qui caractérise les acteurs wallons, c’est cette capacité d’écoute, cette capacité de se mettre à la place du client. Le fait de parler français et anglais, deux langues omniprésentes dans le spatial, est probablement aussi un atout.

Peut-on dire un mot sur les synergies entre universités, centres de recherche et industrie ? 

Toutes les universités belges qui forment des ingénieurs sont aussi des laboratoires de recherche très performants. Elles ont pris l’initiative de se regrouper au sein du Joint Research Institute for Space (JRI4Space), un Institut qui fédère des représentants universitaires, des centres de recherche ainsi qu’un ensemble d’entreprises du secteur dans le but de maximiser l’adéquation entre besoins industriels et offres scientifiques. Le spatial s’impose ainsi comme terrain d’innovation privilégié, où recherche fondamentale et développement technologique avancent main dans la main. 

Le rôle du pôle Skywin s’inscrit pleinement dans cette dynamique : il vise à favoriser les synergies et à structurer des partenariats autour de projets communs et innovants.

On parle beaucoup de Défense. Quel lien faites-vous entre le spatial et la Défense ? 

Aujourd’hui, les liens entre le spatial et la Défense sont plus que jamais d’actualité. La grande majorité des technologies développées dans le secteur spatial sont dites ‘duales’, c’est-à-dire qu’elles peuvent être utilisées à la fois à des fins civiles et militaires. Cela ouvre la voie à une synergie naturelle, où les technologies conçues pour l’espace peuvent être adaptées pour répondre à des besoins de défense – et inversement. De plus, de nouveaux besoins technologiques émergent du côté des forces armées, en particulier dans deux domaines clés : l’observation de la Terre, pour la surveillance stratégique, et le Space Situational Awareness (SSA), qui vise à mieux comprendre et anticiper les dynamiques en orbite. Ces enjeux deviennent cruciaux dans un contexte de militarisation croissante de l’espace.

Quels sont les défis et les ambitions du secteur spatial wallon ? 

Le secteur spatial wallon entre dans une phase charnière. L’un des principaux défis à venir sera de nature financière, notamment en ce qui concerne le soutien public nécessaire pour maintenir l’élan actuel. Par ailleurs, le virage du New Space impose une nouvelle dynamique : pression sur les coûts, augmentation des cadences de production, évolution rapide des modèles d’affaires… Le secteur doit s’adapter à ces mutations tout en maintenant un haut niveau de qualité et d’innovation. 

Le mot de la fin ? 

Je dirais que notre pays a clairement une longueur d’avance dans les technologies spatiales. Cette avance, nous sommes déterminés à l’exploiter pleinement, à la faire grandir et surtout à la partager avec nos partenaires et nos clients à travers le monde !

Article ©️Gate.31

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