Les turbulences ont fait la une de l’actualité de ces derniers mois. Certains vols ont été fortement impactés. Pour mieux comprendre le phénomène, Gate.31 est allé à la rencontre d’un climatologue et d’un pilote.
Nous vous proposons donc un article en deux parties pour appréhender le phénomène du point de vue météo (partie 1) et du pilote (partie 2).
Décollage immédiat pour la haute troposphère !
Sébastien Doutreloup, Climatologue à ULiège nous en dit plus…
A priori, les turbulences restent un phénomène purement météorologique. Mais lorsqu’on évoque les turbulences sévères qui ont touché le secteur aérien ces derniers mois, nous parlons de turbulences liées à la fois à des phénomènes météos et climatiques.
Car le sujet qui nous occupe ici est ce qu’on appelle les turbulences en ciel clair (TCC), ce sont toutes les turbulences non accompagnées d’une visibilité liées à l’humidité/la condensation. Ce sont les plus dangereuses car elles ne sont pas visibles : ces montées et (re)descentes d’air, qui ne sont pas matérialisées par des gouttes d’eau, vont surprendre le pilote car l’avion va subitement perdre puis regagner de l’altitude. Vu que le phénomène est non prévisible, il est difficile de prévenir les passagers à bord de l’avion avec les conséquences que l’on connaît…

Le changement climatique a-t-il un lien avec la fréquence des turbulences et leur intensité ?
Ce type de turbulence (turbulence en ciel clair) a toujours existé mais les modélisations montrent que la probabilité que de ce type de turbulence survienne est en augmentation depuis les années 1970 (voir schéma).

Source : https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2023GL103814
Vu que le réchauffement climatique s’accélère, nous constatons une surchauffe de l’atmosphère : des bulles d’air chaud s’élèvent et créent de plus en plus de turbulences. Il reste cependant une incertitude, c’est le fait que l’atmosphère ne se réchauffe pas de la même manière selon l’altitude. Il semblerait (cela reste une hypothèse) que la haute atmosphère se réchauffe différemment du reste de la troposphère, ce qui pourrait avoir des effets amplificateurs… ou réducteurs de la turbulence. Malheureusement, les modèles climatiques ne parviennent pas encore à représenter correctement le réchauffement de la haute atmosphère. Et cela reste un défi pour la communauté de climatologues de résoudre cette inconnue.
Malgré ces doutes et dans l’état actuel des connaissances, oui nous constatons une augmentation de ce type de turbulences !
Quelles parties du globe, quelles trajectoires (d’avion) sont les plus touchées ?
Même si certaines parties du monde sont plus touchées par les turbulences de manière générale (régions montagneuses, région équatoriale, …), les turbulences en ciel clair sont, elles, beaucoup plus difficiles et moins facilement localisables. Sur la carte ci-dessous, on constate une forte augmentation sur l’Atlantique Nord. Il se peut que cela s’explique par un réchauffement plus rapide de cette région.
La haute troposphère, à des altitudes comprises entre 7 000 et 12 000 mètres, est la zone la plus à risques. C’est à cette altitude que les turbulences en ciel clair sont les plus fréquentes, à proximité de courants-jets.

Source : https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2023GL103814
Ce phénomène est-il voué à se développer dans les années – décennies qui viennent ?
Les turbulences thermodynamiques dites de « bulles d’air chaud » vont augmenter avec le réchauffement pour deux raisons. D’une part, le réchauffement climatique surchauffe le sol, dès lors des bulles d’air chaud vont s’élever beaucoup plus que par le passé. D’autre part, un air plus chaud condense moins et donc forme moins de nuages. L’un dans l’autre, le réchauffement climatique va provoquer plus d’air ascendant qui ne se marquera pas par la présence de nuages. Ceci expliquant une part de l’augmentation des turbulences en ciel clair.
Certaines études montrent actuellement une poursuite de l’augmentation des turbulences en ciel clair allant vers un doublement voir un quadruplement de ces turbulences à l’horizon 2050-2080. Mais cette augmentation dépend de la région du monde (ce sont principalement les moyennes latitudes qui sont concernées), du scénario socio-économique emprunté et enfin des modèles climatiques utilisés. Ce dernier point suggère donc que cette évolution est encore mal connue et que des recherches doivent se poursuivre à ce sujet.
Image avion ©️Clément Alloing