L’IA, super assistante pour avocats ?

Rencontre avec Jeoffrey Vigneron, Avocat et Cofondateur du cabinet Lawgitech.

Avocat au barreau de Bruxelles depuis une vingtaine d’années, Jeoffrey Vigneron pratique le droit des technologies, il traite les questions liées aux données, à l’intelligence artificielle et aux plateformes numériques.

Nous avons fait le point avec Jeoffrey sur l’usage de l’IA par les avocats et le monde juridique.

Quels sont les usages actuels de l’IA dans le domaine juridique ? 

N’importe quel avocat/juriste dans n’importe quel domaine peut avoir recours à l’IA, les exemples sont innombrables. Ce peut être un avocat qui mène une recherche en droit de la construction et qui demande à une IA de lui communiquer la dernière doctrine sur le sujet et, par exemple, de la structurer et de la vulgariser pour la transmettre à son client. Il pourrait ainsi obtenir un résultat sourcé sur base de l’intelligence qu’il utilise.  

Certains outils (comme GenIA-L, Doctrine, …) sont plus fiables que d’autres car ils mentionnent les sources et ne sont alimentés que par des données contrôlées qui peuvent être vérifiées par l’utilisateur. Ces outils, spécifiques au secteur, peuvent être utilisés pour l’aide à la décision, l’aide à la rédaction de notes juridiques, de contrats ou de conclusions.

Le problème de l’IA dans le domaine juridique, c’est sa fiabilité ! Les IA génèrent souvent des hallucinations. Si les sources ne sont pas vérifiables et vérifiées, il est excessivement dangereux, pour un avocat ou un juriste, d’utiliser ces technologies. Jeoffrey Vigneron, Avocat et Cofondateur du cabinet Lawgitech

Les professionnels du droit doivent-ils mentionner l’utilisation d’une IA ?

Cela dépend de l’utilisateur. Le client doit être informé du recours à l’intelligence artificielle si cela peut avoir une incidence sur le résultat d’une analyse, sur le traitement des données du client, nous avons un devoir de transparence !

Par contre, cela ne doit pas nécessairement être le cas pour un avocat qui utilise une IA pour filtrer ses spams ou traduire du texte car cela n’a pas vraiment d’incidence sur le traitement du dossier de ses clients.

En ce qui me concerne, j’informe toujours mes clients lorsque j’utilise un outil d’aide à la recherche ou d’aide à la décision.

Où en est-on avec l’utilisation de l’IA ? 

Les professionnels ont encore du mal à se tourner vers ces outils car ils ne comprennent pas toujours le fonctionnement de l’intelligence artificielle et ne différencient pas forcément ChatGPT d’une IA juridique. 

Je dirais, qu’en moyenne, 20 à 30 % des avocats utilisent des outils pour les assister dans les tâches quotidiennes (par exemple pour la rédaction) et je constate qu’il y a un engouement, un intérêt grandissant.

Pour alimenter les bases de données, faut-il accélérer les travaux de dématérialisation – numérisation de documents juridiques ?

Effectivement et c’est une vraie question ! En Belgique, on se heurte à la lenteur des projets de numérisation des décisions judicaires (essentiellement pour la jurisprudence) : ceux-ci accusent des années retard. Cela fait près de 10 ans que l’on attend la mise en place d’une base de données centralisée avec l’ensemble des décisions des Cours et Tribunaux belges. Dans un état démocratique, comme la Belgique, il est primordial d’avoir accès, en toute transparence, à la jurisprudence dans son intégralité. 

Ce n’est pas un défi insurmontable mais il existe des contraintes techniques et des obligations en matière de cybersécurité et d’anonymisation des données à caractère personnel qui doivent être respectées pour que ces données puissent, un jour, constituer des données d’entrainement pour rendre une IA véritablement efficace. 

Il importe aussi d’avoir une vision globale, à l’échelle de l’ensemble des juridictions belges, de manière à mener à bien ce vaste projet de dématérialisation : comment numériser, comment stocker, comment anonymiser, comment permettre l’accès à la base de données, sous quel format, … ?

L’IA permettra-t-il de désengorger les tribunaux ? 

Oui certainement à condition d’avoir les garanties et les données nécessaires ; une IA pourrait facilement aider à résorber l’arriéré judicaire et gérer d’autres tâches connexes de la justice. Tous les dossiers non contestés et non contestables pourraient être traités par une IA : petites factures non contestées, PV,  gestion/optimisation des calendriers des rôles d’audience, …ne sont que quelques exemples. 

L’adoption de l’IA par les cabinets d’avocats pourrait-elle devenir un impératif pour que les cabinets restent compétitifs ? 

Le recours à une IA pour les travaux rédactionnels peut avoir un impact significatif sur le temps consacré à une tâche (ex : rédaction d’une lettre pour un client). Alors que l’avocat facturait une heure de courrier, il serait logique de facturer désormais 10 minutes du fait du recours à l’IA. Cela devrait se refléter dans les honoraires de l’avocat !

Par contre, je n’irais pas jusqu’à parler d’avantage compétitif car l’usage de l’IA permet, aujourd’hui, de gagner entre 20 et 30% du temps sur certaines tâches mais pas sur toutes (audiences). Mais tôt ou tard, tout le monde devra s’engager dans cette voix-là pour rester compétitif. 

Certains travaux réalisés par ChatGPT sont aujourd’hui plus rapides, plus qualitatifs et moins onéreux que certains travaux réalisés par des stagiaires avocats, c’est inquiétant pour les jeunes générations. Jeoffrey Vigneron, Avocat et Cofondateur du cabinet Lawgitech

Peut-on dire un mot sur la responsabilité de l’IA en cas d’erreur ?

Il importe de former les professionnels à l’utilisation de l’IA car la réponse aussi satisfaisante puisse-t-elle être peut être hallucinée quand on utilise l’IA à mauvais escient. Un avocat qui utilise cet outil, sans en connaître le fonctionnement ou les sources, expose sa responsabilité et différents sinistres se sont déjà produits par le passé.

Confidentialité : que deviennent les informations traitées par l’IA ?

C’est une bonne question ! En réponse, je dirais qu’il ne faut jamais partager d’informations confidentielles sur ChatGPT,  DeepL ou tout autre outil utilisant une IA si on ne maîtrise pas l’outil car ces données peuvent devenir des données d’entrainement pour l’application ce qui deviendra alors une rupture de confidentialité de nature à exposer également la responsabilité de l’avocat.

Faut-il prévoir une formation à l’IA dans les études de droit ?

Image ULB ©Lara Herbinia

A ce jour, les cours qui touchent à la technologie concernent les régulations comme NIS, DORA, DMA, DSA, .. mais n’abordent pas le fonctionnement d’une IA ni son mode d’utilisation. Dans les études de droit, il me semble qu’ une formation pratique qui permettrait de familiariser les professionnels à l’utilisation des outils d’aujourd’hui fait défaut. La formation en droit est quasi la même que celle que j’ai suivie il y a 20 ans or le monde a bien changé entre-temps…

Le mot de la fin ? 

Je n’aurais qu’un message, un conseil à passer : formez-vous aux matières autres que le droit, dotez-vous de compétences techniques pour appuyer vos compétences juridiques !

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